"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dix ans après la mort de sa mère, l’auteur/narrateur se décide enfin à mettre de l’ordre dans les archives familiales, qui prennent la poussière dans une armoire depuis trop longtemps.
Du passé et de l’histoire de ses parents, Alain Berenboom ne sait presque rien, tant ceux-ci se sont acharnés à ne rien lui raconter, à le couper de ses racines familiales, et à faire de lui un bon petit Belge pure souche. Sans doute pour éviter de faire peser sur ses épaules le poids de la tragédie juive. Car ses parents sont juifs, lui de la région de Varsovie, elle de Vilnius. Arrivé en Belgique au début des années 30, Chaïm Berenbaum a fait des études de pharmacie à Liège, avant d’ouvrir son officine à Bruxelles. C’est entre les sirops et les onguents qu’il est tombé amoureux de Rebecca, une cliente venue chercher les médicaments de son oncle.
Au fil des photos, lettres et documents, l’auteur retrace le portrait de sa famille, de son père surtout. Il découvre ainsi que celui-ci s’est lié d’amitié avec un homme qui était en réalité un espion nazi, que ses parents sont partis en voyage de noces à vélo vers Boulogne-sur-Mer sous les bombardements, que son père a transporté clandestinement de faux papiers à travers Bruxelles. Il découvre un indécrottable optimiste, bouffeur de rabbins et de curés mais lecteur assidu de la Torah, inventeur de remèdes miracles, nostalgique de la Pologne et attiré par le nouvel Etat juif, mais aussi modèle de volonté d’intégration dans son pays d’accueil auquel il voue, pour cette raison, une reconnaissance sans bornes. Un homme respectable, aventurier, naïf, entêté, amoureux, qui est parvenu à éviter les embûches de l’Occupation et la déportation, et qui a fini par devenir belge sous le patronyme de Berenboom.
L’auteure reconstitue également par bribes l’histoire du reste de la famille, disparue pour la plupart dans le ghetto de Varsovie ou dans les camps de concentration. A la lecture des lettres de ses tantes et de sa grand-mère polonaises, il s’étonne qu’elles continuent à parler chiffons, mariages et projets d’avenir, alors que le bruit des bottes est de plus en plus assourdissant et que la Solution Finale est en route. Déni, ou volonté d’épargner ceux qui sont un peu mieux lotis qu’elles ?
A travers ce portrait, à jamais incomplet, de son père, Alain Berenboom se pose la question de sa propre identité : qui est-on vraiment quand on ignore ce qu’ont été ses parents ? Aurait-il été quelqu’un d’autre s’il avait su ? Questions sans réponse, probablement. Mais cela n’enlève rien au charme de ce récit touchant et picaresque tout en tendresse et auto-dérision où, au milieu de tous les non-dits, une évidence s’impose : l’auteur utilise à la perfection l’arme de l’humour pour atténuer les horreurs du nazisme et la poigne de l’émotion.
#LisezVousLeBelge
Facile à lire est très sympathique,on se retrouve dans le Bruxelles des année 1947.
Ce n'est que longtemps après la mort de ses parents qu'Alain BERENBOOM trouve le courage de fouiller leurs caisses remisées à la cave, incursion indiscrète dans un passé auquel il n'a jamais eu accès. Documents, lettres et photos précieusement conservés par sa mère lui ouvre l'accès à une histoire familiale mouvementée que la vie tranquille de ses parents de ne laissait pas présager. Il découvre son père sous un jour nouveau, un père courageux, volontaire, aventurier, caché derrière le pharmacien bruxellois bien établi. Au fil de ses découvertes se dessine l'histoire d'un homme : la naissance dans un shetl proche de Varsovie, les premiers pas en Belgique terre d'accueil, la rencontre avec Rebecca, sa "princesse lituanienne", la soif d'intégration, l'amour pour sa nouvelle patrie, les années de clandestinité pendant la guerre, le deuil de ceux qui n'ont pas survécu, et surtout l'indéfectible optimisme qui lui a permis de surmonter tous les drames. Ne parlant ni le polonais, ne le yiddish, Alain attend avec de plus en plus d'impatience les traductions des lettres rassurantes et confiantes qui racontent la douceur de vivre au shetl, les espoirs, les projets de toute une communauté qui, par-delà les menaces nazies et soviétiques, continue d'étudier la Torah, d'organiser des mariages, de s'inquiéter d'un célibat prolongé, sourde et aveugle au fracas du monde. Des grand-parents, des tantes dont il ne savait rien, lui proviennent d'un passé à jamais révolu, balayé par les horreurs de la guerre. Chaïm Berenboom est devenu belge et a choisi de garder un silence hermétique sur cette ancienne vie, sur l'Occupation, sur les drames et les souffrances, préférant mettre en avant les bons côtés de la vie. Pourtant, sous ses airs débonnaires gonflait une colère sourde, sous le pharmacien respectable, athée et optimiste, se cachait l'assistant d'un magicien, un résistant, un lecteur assidu de la Bible, un admirateur des kibboutz israélien, un homme complexe et contradictoire.
Elevé dans le respect du roi, nourri à la carbonade, bilingue franco-flamand, y a-t-il outre-Quiévrain citoyen plus belge qu'Alain BERENBOOM ? C'est ainsi que ses parents l'ont éduqué, coupé de ses racines, premier d'une ligne de Berenboom, belge avant tout. Pourtant, son enquête dans les archives familiales va lui faire entrevoir une histoire familiale marquée par les affres de la guerre. Mais en bon belge, l'auteur fait fi du ton tragique de rigueur pour adopter l'humour et la dérision, cachant ses larmes derrière les folles aventures d'un père habité par la soif de vivre et la confiance en des lendemains meilleurs. Rire pour ne pas pleurer mais surtout redonner une voix à ceux qui ont été broyés par le nazisme. Du shetl au ghetto, les lettres dévoilent un quotidien de plus en plus difficiles mais gardent la flamme de l'espoir, celle qui s'éteint sur le chemin des camps. Chaïm aura perdu une grande partie de sa famille mais il ne dira jamais rien de sa peine, épargnant son fils, mais le privant aussi de son histoire. Alain remonte la piste, renoue avec l'héritage familial, tentant de garder une distance pudique mais qui ne masque pas tout à fait le flot de ses émotions. Hommage aux siens et surtout au père, ce Monsieur optimiste est un hymne à la vie, une suite de chroniques drôles et émouvantes qui nous rend chers et intimes des êtres dont les voix se sont éteintes trop tôt. A lire pour la leçon d'Histoire et pour l'exploit d'avoir su alléger l'horreur des faits par des touches d'humour bienvenues.
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