Elle nous avait manqué, Karine Tuil, depuis L’Invention de nos vies, publié en 2013, son neuvième roman qui déployait magistralement le thème de l’imposture et de l’identité, épinglé sur les listes de cinq des grands prix d’automne et finaliste pour le Goncourt. C’est qu’elle travaille en orfèvre, polissant sans relâche la pierre taillée pour en faire à chaque fois le joyau littéraire le plus abouti.
Très remarqué dès le mois de juin par les prescripteurs que sont les libraires et les journalistes, L’Insouciance procède du même élan. L’origine du roman s’enracine dans la guerre en Afghanistan : en août 2008 des soldats français sont pris sous le feu des talibans. Dix sont tués dans ce qu'on appellera l'embuscade d'Uzbin. Quatre personnages s'entrecroisent : Romain, un lieutenant qui revient de cet épisode de la guerre avec un stress post traumatique, François Vely, un homme d’affaires franco-américain, issu d’une famille juive convertie au catholicisme ; Marion, sa femme, une séduisante journaliste qui aura une liaison passionnée avec Romain. Enfin Osman, fils d'immigrés ivoiriens, ancien éducateur social en banlieue devenu conseiller du président de la République.
Chacun va prendre la violence contemporaine en pleine tête, à commencer par celle de la guerre, odieuse et puissamment indépassable, qu’elle soit sauvagerie comme celle de Daesh, humiliation comme celle qui touchera le jeune homme, parfaite « minorité visible » pour un gouvernement en quête de légitimité identitaire, ou opprobre quand elle touche un homme condamné socialement pour son goût pour un art non consensuel.
Karine Tuil creuse son sillon balzacien du dialogue de la société occidentale avec l’époque, dans la trame du questionnement identitaire et la question des origines au sens large, qu’elles soient culturelles, religieuses ou ethniques. Le livre est très fort, tendu comme un arc vers une issue sans compromission. L’écrivain a eu la gentillesse de bien vouloir répondre à nos questions (ici).