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"Ecrire est une façon bien dérisoire de lutter contre notre impuissance, de trouver des portes et de combler les vides"

A la rencontre de Carole Martinez, auteur, jurée du Prix Orange du Livre 2017

"Ecrire est une façon bien dérisoire de lutter contre notre impuissance, de trouver des portes et de combler les vides"

Elle écrit rare, seulement trois romans en dix ans, mais quels romans : Du Cœur cousu à La Terre qui penche, Carole Martinez crée un univers unique et singulier qu’elle prend le temps de façonner en orfèvre mais sans jamais se prendre au sérieux. Elle fait partie des écrivains qui ont accepté d’être jurés pour le Prix Orange cette année et répond ainsi à nos questions sur sa façon d’être un écrivain.

 

Carole Martinez, vous êtes un écrivain qu’on adore sur lecteurs.com, du Le coeur cousu à La terre qui penche. A quand remonte votre première tentative d’écriture ?

A ma première rédaction en CM2. Un sujet idiot « Racontez vos vacances ». J’ai adoré écrire ma première sortie du territoire Français et ma déception au passage de la frontière franco-espagnole: je n’avais rien senti, rien remarqué, j’imaginais que j’allais éprouver quelque chose de physique, que l’air serait différent, que les couleurs, les gens, seraient autres de part et d’autre de cette ligne. Mais non, l’air n’avait même pas vibré, la couleur du ciel était la même, les immeubles se ressemblaient, les passants avaient la même gueule, les mêmes habits. La terre de mes ancêtres n’avait rien d’exotique. J’ai raconté tout ce que j’avais imaginé, j’ai raconté ma déception.  Mme Kiefer, ma vieille enseignante, a lu mon texte à la classe et dès lors j’ai aimé écrire.

 

Comment pourriez-vous décrire la nécessité d’écrire qui vous anime ?

C’est une façon bien dérisoire de lutter contre notre impuissance, de trouver des portes et de combler les vides. 

 

Un écrivain est d’abord un lecteur, dit l’adage. Le confirmez-vous ?

Je ne sais pas. Un écrivain est sans aucun doute son propre lecteur, son premier lecteur. Mais je connais des auteurs qui lisent très peu. L’écriture est une forme de liberté que la grammaire elle-même ne parvient pas toujours à contraindre, écrire n’oblige personne à lire. Je ne pense pas que le plaisir de lire et celui d’écrire se recoupent tant que ça. 

 

La littérature est un monde. Comment l’explorez-vous ?

Je ne lisais que des morts. Dans le lot, certains étaient encore vivants, mais je les lisais comme s’ils étaient morts déjà. Je suivais les conseils de quelques ainés, je dévorais Ben Jelloun, Claudel, Garcia Marquez, Senghor, Faulkner, Duras, Supervielle, je les lisais avec bonheur sans me soucier de savoir s’ils étaient morts ou vivants. En fait, je me fichais absolument des auteurs, seules comptaient leurs oeuvres.

 

Lisez-vous vos contemporains ?

J’ai pris conscience tardivement de la foultitude des textes contemporains. Je n’ai commencé à m’y intéresser qu’en publiant mon premier roman. Avant cela j’avoue que je ne suivais pas du tout l’actualité littéraire et que seule la critique universitaire m’intéressait. J’ignorais presque qu’il pouvait y avoir une autre activité critique.

 

Vous avez reçu de nombreux prix dans votre courte carrière, notamment le Goncourt des Lycéens en 2011 pour Du domaine des murmures. Vous passez de l’autre côté de la barrière en devenant  juré du Prix Orange cette année. Comment décririez-vous l’expérience à ce stade des délibérations ?

L’équipe est très sympathique et l’on mange bien. Mais il n’est pas possible de lire les trente livres de la première sélection, il faut forcément faire un choix. Trente livres, c’est trop.

Nous avons eu des désaccords, il y a eu des vagues, mais nous n’en sommes jamais arrivés aux mains et le ton est resté courtois. J’adore les cinq oeuvres que nous avons retenues. Des textes très différents, très beaux qui m’ont embarquée et émue. Vraiment, la sélection est magnifique ! 

 

Quel souvenir en garderez-vous ?

Des souvenirs de lectures : la poésie crue et organique de Simon Johannin, la terre déchirée des Trois gueules où le désir s’enracine, Haïti déclarant la guerre à l’Allemagne, les mensonges de Besson et Jourde serrant les poings pour écrire l’impuissance de son amour face à la mort de son fils.

 

 

 Propos recueillis par Karine Papillaud

 

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