« Je m’installe pour un voyage sans destination à travers les rues et les boulevards de cette ville obsédante et cruelle. Je cesse d’exister et contemple le monde. »
L’incipit prend place dans un renom émouvant.
« J’ignore pourquoi je me retrouve là »
« Vingt stations » est une déambulation exutoire, un chef-d’œuvre à l’aube-née. Un voyage empreint d’intériorité, mais il n’est pas l’heure encore pour la renaissance. Ahmed Tiab observe, en quête du geste, du regard qui retiendra son attention pour le faire sien. Chacune des stations symbolisent le pays où il vit et qui va connaître des jours sombres. Ce récit kaléidoscope dévoile un homme éprouvé, blessé dans sa chair qui s’épanche station après station. Prenez le temps de l’écouter. Ahmed Tiab devient le reflet des confidences, de ce qui va advenir subrepticement. Ne doutez jamais. Ne vous arrêtez pas avant la dernière station. Nous sommes près de lui, en assise dans les paysages, les mouvements, les êtres et la ville qui s’agite. « Vingt stations » et l’errance travaille sa pierre, avance l’œuvre infinie d’un auteur qui se heurte aux drames d’un pays chaotique.
« Les consolations où les écoliers quittent la chaleur réconfortante des lits et les foyers aux odeurs douces. »
L’homme relie ses pensées aux roulements du tramway, en proie à la guerre civile. Les extrémismes religieux, les interdits, sa vue se brouille. Le périple sonne le glas de l’irréversible. Son enfance meurtrissure, une mère rejetée du foyer dont les écarts n’étaient que la libre-pensée, l’attrait pour l’impalpable. Trop âgée, elle disparaît, reniée. Le vide est comble d’une petite cousine qui veille sur l’enfant. Jusqu’au jour où son père se remarie avec elle. Trente ans d’écart, la jeunesse fauchée en plein vol. Nedjma, colombe aux ailes brisées.
« J’ai claqué derrière moi la porte de l’enfance et il n’en subsiste que de fulgurantes douleurs. Un feu de Bengale de picotements sur la peau. C’est parce que je ne lâchais rien que les adultes me dressèrent à céder, à tout accepter. »
L’enfant grandit. Nedjma est l’ultime horizon. La pureté de l’innocence, le pays côté ciel, les respirations salvatrices, l’Ode à la joie. La guerre sournoise fait des ravages. L’Algérie franchit la ligne rouge. Le frère est un ennemi, terroriste, le voisin, un traître. Plus de rires, d’embrassades, de musique. Les maisons ont les persiennes en larmes, les femmes baissent les yeux, oppressions, la liberté anéantie. « L’homme est loup pour l’homme » à l’instar de Pline. Que se passe-t-il dans cet initiatique voyage qui se heurte au réel immanquablement ? Sans destination, la solitude qui tresse les pavloviens rappels. Douleurs d’un peuple ravagé par les horreurs, les corruptions, les meurtres et les petits arrangements.
« Un moment de répit où la rue vit le miracle du vide. Dès mon, enfance où la meute établissait déjà sa loi aux abords de l’école. Premier à prendre les coups et dernier à les voir venir. »
« Vingt stations », Nedjma l’espérance. Le tramway s’enfonce dans un gouffre parabolique.
« Nos assassins sont encore de ce monde. Ils sont en liberté. Ils peuvent vivre tout près de nous. On pourrait leur sourire et leur dire merci. Merci d’avoir causé notre malheur. »
« Ils se sont remis à tout mélanger dans nos esprits. Qui étaient les bons ? Qui étaient les mauvais ? »
« Vingt stations » est engagé, sociétal, bleu-nuit, loyal. Que va-t-il se passer au terminus ?
« Les consolations les plus infimes font oublier les plus grandes tragédies. »
Une urgence de lecture. Piédestal de la littérature !
Publié par les majeures Éditions de l’Aube.