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Fab lafontèn

Couverture du livre « Fab lafontèn » de Dejean Mont-Rosier aux éditions Ibis Rouge
  • Date de parution :
  • Editeur : Ibis Rouge
  • EAN : 9782844501691
  • Série : (-)
  • Support : Papier
Résumé:

La fable en langue créole est sans conteste le genre littéraire qui a connu, et qui continue de connaître, la plus grande fortune tant aux Antilles que dans l'Océan Indien. Proche de l'oralité, porteur d'une moralité accessible au plus grand nombre, jouant sur tous les registres de l'humour, ce... Voir plus

La fable en langue créole est sans conteste le genre littéraire qui a connu, et qui continue de connaître, la plus grande fortune tant aux Antilles que dans l'Océan Indien. Proche de l'oralité, porteur d'une moralité accessible au plus grand nombre, jouant sur tous les registres de l'humour, ce genre, aujourd'hui si décrié dans les grandes littératures (celles de l'Europe et de l'Amérique du Nord), demeure une étape indispensable sur le chemin qui conduit, depuis une trentaine d'années, le créole à la souveraineté scripturale.

Assez paradoxalement, le lien intertextuel qui lie la fable créole aux oeuvres du grand fabuliste français Jean de Lafontaine et, à travers lui, aux plus anciens fabulistes de l'humanité (Pilpay en Inde, Esope dans la Grèce antique, Abstemius à Rome etc.), n'est ni un frein ni un handicap à son plein épanouissement. En effet, le fabuliste créolophone est contraint de se faire à la fois écrivain et traducteur, ce qui l'amène à élargir les potentialités expressives d'une langue qui est restée trop longtemps, diglossie oblige, confinée à l'expression de réalités immédiates ou locales. Autant l'écrivain créolophone peut tout à fait restreindre son champ d'action à la Plantation ou au quartier populaire urbain et se satisfaire du créole tel qu'il est, autant le fabuliste, de part sa posture traductive, est contraint de confronter son outil linguistique à l'évocation de réalités étrangères c'est-à-dire non créoles. Traduire / Transposer / adapter Lafontaine l'amène nécessairement à désigner des realia qui n'appartiennent pas à l'univers créole, à décrire des événements propres à une autre sphère culturelle, à faire sien une psychologie différente. Quand on connaît le rôle qu'a joué la traduction dans le processus de littérarisation des grandes langues du monde (français, anglais, allemand, finnois, swahili etc.), on ne peut que se réjouir du succès ininterrompu que connaît la fable créole depuis Louis Héry (La Réunion, 1826).

Cependant, le plus intéressant demeure la comparaison des divers traitements qu'on fait subir nos fabulistes à l'hypotexte lafontainien. Certains, tels le Guadeloupéen Paul Baudot (1860) ou le Guyanais Alfred de Saint-Quentin (1874) sont restés très proches de ce dernier ; d'autres, tels que le Martiniquais François Marbot (1846) ou le Haïtien Georges Sylvain (1901) s'en sont quelque peu écartés et se sont efforcés de créoliser leurs textes chaque fois que cela leur semblait possible ; d'autres enfin, tels que les Martiniquais Gilbert Gratiant (1958) ont carrément rompu avec lui et ont tenté de forger un modèle de fable typiquement créole en s'appuyant à la fois sur l'oralité (parole quotidienne) et sur l'oraliture (contes, proverbes, devinettes etc.) créoles. Cet assez vaste corpus, non encore inventorié en totalité et finalement peu étudié, est l'une des principales richesses de notre culture créole écrite.

Raphaël Confiant

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