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Ce livre est un joyau d'écriture littéraire avec des références au cinéma et à la chanson.
Je le perçois comme un livre d'heures d'autrefois.
Je le lis, je le pose, je le reprends pour lire et relire les mots qui viennent. Avec précaution et silence pour respecter la souffrance de cet homme qui écrit pour ne pas oublier la femme qu'il aimait.
Celle aux cheveux emmêlés comme des algues, il revoit son sourire, réentend sa voix, sent sa fragilité comme un écho à la sienne à prendre la vie comme elle vient.
Un moment passé ensemble, un regard pris à la dérobée, une expression du visage, et l'instant d'elle est posé sur le papier. Jamais avec lourdeur et apitoiement mais léger comme un baiser.
" Sa chemise oubliée, couleur de lait d'abricot, furieux j'y plonge ma tête, l'effluve sucré m'envahit tout entier, la nuit folle est là, à portée de lèvres, ébouriffée. Mes jambes se dérobent, je me raccroche à une marche, l'étoffe chagrineuse s'échappe le long de l'escalier, dessine sa silhouette repliée, narquoise, assoupie. Allons, courage garçon." (page 61).
Il l’a aimée, elle est morte. Il l’aime encore mais elle n’est plus là. Et lui doit continuer et risquer de l’oublier. Petit à petit, chaque jour. Un effacement lent et sûr dont il ne veut pas. Alors, il a noté tout ce dont il se souvenait encore : un regard, une dispute, un lieu, une lumière… avec elle. Et puis, de toutes ces notes, il n’en a gardé que quelques- unes, pour faire un livre qu’il a intitulé Ma nuit entre tes cils.
C’est ce petit livre à la couverture bleu nuit que je viens de finir et je peux dire que j’ai fait une rencontre, celle de K. Une initiale. Evidemment, je peux supposer, proposer des prénoms. Je ne saurai jamais quel était le sien, ni qui elle était vraiment. Ce « portrait mosaïque », ces quelques fragments réunis, ces petits instantanés, comme un puzzle aux pièces manquantes, me permettent seulement d’entrevoir, de m’approcher un peu d’elle, et de lui aussi.
Elle était professeur de philosophie et avait du mal à trouver un sens à tout cela. Elle avait dû chercher, y réfléchir longtemps. Certains ont pu penser l’avoir aidée. Mais ils s’étaient trompés. Tous. Lui aussi, le garçon, comme elle l’appelait. Même l’amour n’aura rien changé.
Il a tenté alors de lui redonner une forme de vie, de la peindre en mouvement afin de « mieux (se) persuader… que le destin aurait pu tourner autrement, qu’il n’avait rien d’une fatalité, qu’il s’est joué à un cheveu… » Et ce petit livre nous la montre en vie, celle qui ressent « un écrasement généralisé, sans lieu, indolore », celle qui est « disparaissante ».
Elle est moulin à paroles, danse le tango jusque tard dans la nuit, mange et fume comme dix, se passionne pour l’œuvre de Thomas Bernhard, traîne dans les salles des ventes de Drouot, contemple la vie autour d’elle, ses voisins de bistrot, les passants dans la rue. Elle venait de « tomber très fort dans Polnareff » disait le dernier SMS qu’il avait reçu d’elle, « relique digitale » qu’il a effacée, par erreur. Mais rien ne l’a retenue.
Alors, pour tenter de l’empêcher de disparaître définitivement, Grégory Cingal puise dans les mots : ils ne sont pas forcément justes, ils mentent et déforment souvent, sont impuissants à traduire l’immense douleur, mais ils sont là et cet « émiettement verbal » vaut « peut-être mieux, au bout du compte, que la blancheur abyssale de l’oubli. »
Un très beau texte sensible et fin dont l’écriture précise, ciselée traduit la peur de l’oubli, de la disparition, de l’extinction dirait Thomas Bernhard.
Grégory Cingal livre ici un portrait fragmenté - parce que les mots ne peuvent tout dire, ni recréer un être de toutes pièces - de celle qui a été sa compagne pendant dix ans, s’interrogeant sur le rôle de l’écriture dans cette lutte contre l’absence, la disparition et se révoltant contre l’impossibilité d’évoquer l’être aimé sans parler de soi-même, comme si l’auteur devenait l’ombre incontournable et ineffaçable de celle qu’il a aimée, le tuteur désormais obligé et nécessaire de la femme qui ne peut maintenant avancer toute seule et qui n’existe, dorénavant, qu’à travers l’autre.
http://lireaulit.blogspot.fr/
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